Inégalités et opinions politiques

Cette semaine, deux articles du numéro de janvier 2016 de la Socio-Economic Review vont nous occuper. Ils ont en commun d’étudier les effets d’une augmentation des inégalités économiques sur les opinions déclarées des individus. Le premier mesure l’impact d’une augmentation des inégalités sur l’euroscepticisme déclaré et le second sur la demande de redistribution.

Les deux articles commencent par insister sur le contexte d’augmentation des inégalités dans les pays développés, quantifiée notamment par l’OCDE, avant d’estimer l’impact de cette augmentation sur des données issues d’enquêtes d’opinion. Leur approche est assez originale en économie puisqu’il s’agit de tester non seulement des hypothèses fondées sur la rationalité des agents (l’électeur médian, le rejet pour les moins diplômés d’une mondialisation qui favoriserait surtout les plus diplômés) mais aussi sur des valeurs politiques (formulées en termes de préférence pour l’égalité ou pour la démocratie).

Ces deux articles se heurtent aussi au même problème empirique central : comment éliminer l’hétérogénéité inobservée ? C’est-à-dire comment tenir compte du fait que dans certains pays, des variables non directement observables par les chercheurs (par exemple liées aux spécificités institutionnelles) ont un effet à la fois sur les inégalités et sur l’euroscepticisme (ou la demande de redistribution). Les stratégies empiriques élaborées par les auteurs nous permettrons de mieux cerner ce problème récurrent en économie et les solutions possibles.

Les expériences randomisées en économie du développement

Les expériences randomisées, depuis longtemps utilisées en médecine, se sont généralisées ces 20 dernières années en économie du développement, notamment à l’intiative du Jameel Poverty Action Lab (J-PAL) installé au MIT depuis 2003. Cette vidéo TED d’Esther Duflo constitue une bonne introduction au sujet. Vous pouvez également consulter l’article de synthèse de Banerjee et Duflo dans la Revue d’Economie Politique : “L’approche expérimentale en économie du développement”

Le premier article que nous étudierons lors de cette séance est une expérience réalisée en Inde dans le domaine de l’éducation : Banerjee, Cole, Duflo et Linden (2007), (il existe aussi une version de travail de 2005 plus détaillée). Le deuxième article est une des critiques les plus célèbre de ces méthodes par Deaton (prix Nobel en 2015) connue sous le nom de “Randomization in the Tropics”

A travers ces deux articles, nous discuterons des grandes tendances actuelles en économie du développement et de l’intérêt (et des limites) des expériences randomisées pour résoudre l’éternel problème des économistes : la recherche de liens de causalité.

 Pour faire le lien avec la séance précédente sur la micro-finance, l’article “The miracle of microfinance” présente les résultats d’une expérience sur l’effet d’un programme de microfinance sur la consommation des ménages, réalisée en Inde par Banerjee, Duflo, Glennerster et Kinnan.

Micro-finance : justifications théoriques et résultats empiriques

Les deux articles étudiés aujourd’hui sont tirés de la World Bank Economic Review. “Access to finance: an unfinished business” (Beck et Demirgüç-Kunt 2008) revient sur les raisons théoriques qui font de l’accès aux services financiers un facteur de croissance et de diminution des inégalités et dresse une revue de la littérature empirique sur le sujet. “Microfinance and poverty: evidence using panel data from Bangladesh” (Khandker 2005) propose une étude empirique de l’impact d’un programme de micro-finance mené entre 1991 et 1999 au Bangladesh.

Deux articles de presse synthétiques et nuancés peuvent permettre de rentrer facilement dans le sujet :

Pour des éléments très concrets, vous pouvez vous référer à l’antenne financière de la banque mondiale (International Finance Corporation) qui est à l’origine de nombreux programmes de micro-finance.

Enfin, ce document de travail de l’IEG (Indepedant Evaluation Group qui dépend aussi de la banque mondiale) rédigé par Beck fourni une revue de littérature très complète.

Les coopératives de travailleurs

Nous parlerons cette semaine d’un modèle d’entreprise particulier : les coopératives de travailleurs, ou les “labour-managed firms” telles qu’elles sont désignées dans la littérature anglo-saxonne. Les deux papiers présentés proposent des analyses empiriques comparatives entre coopératives et entreprises classiques pour l’Uruguay (Burdin et Dean 2009) et pour la France (Fakhfakh, Pérotin, Gago 2012)

Pour avoir une idée de ce que les coopératives de travailleurs représentent en France, vous pouvez consulter les chiffres de la CGSCOP.

Pour élargir un peu le débat, ce blog donne une bonne idée des recherches actuelles sur la participation des travailleurs. Des enquêtes plus qualitatives existent également, notamment pour la France, qui permettent de rendre compte de l’hétérogénéité des SCOP.

Law and finance

La séance de cette semaine est consacrée à l’étude de ce qu’on a appelé la théorie, ou même l’école “Law and Finance”, qui établit une relation entre les lois protégeant les investisseurs et le développement financier des pays. Deux articles seront présentés :

  • le papier fondateur de ce courant, publié en 1998 dans le Journal of Political EconomyLa Porta et al. (1998) (working paper ici)
  • un papier publié en 2013 dans Business History qui remet en question les conclusions de “law and finance” à travers une analyse historique : Musacchio et Turner

Afin de préparer la discussion, je vous encourage à consulter le site “Doing business” de la Banque Mondiale. Inspiré par le courant “Law and Finance”, ce projet a été lancé en 2002 et vise à mesurer la réglementation des affaires dans 190 pays. Cela donne une idée de l’influence considérable de ce mouvement, y compris au-delà du champ universitaire. Un article de Kaplan et Zingales propose un court bilan de cette influence 15 ans après la publication du papier de 1998. L’article wikipédia vaut également le détour notamment pour l’abondance des sources citées. Enfin, pour une vision plus critique du côté des juristes français, vous pouvez lire “Is law an Economic context” (2009).

 

Salaire minimum et emploi

Cette semaine nous abordons un vieux débat en économie : la question de l’effet du salaire minimum sur l’emploi. Alors que la microéconomie standard prévoit une augmentation du chômage en cas d’augmentation du salaire minimum légal, le débat empirique n’est toujours pas tranché, en dépit d’une littérature abondante sur le sujet. Les articles présentés tentent de mesurer cet impact, à 20 ans d’écart : Card et Krueger (1994) en utilisant une augmentation du salaire minimum dans l’Etat du New Jersey en 1992, et Newmark, Salas et Washer (2014) (document de travail disponible ici) avec des données de panel sur les Etats-Unis.

Ce débat tel qu’il a pris place au cours des 30 dernières années est aussi l’occasion pour nous de revenir sur les méthodes empiriques utilisées pour évaluer l’effet propre d’une politique économique. La question centrale peut être résumée de la manière suivante : comment construire un contrefactuel ou un groupe de contrôle approprié ?

Les Etats-Unis sont un terrain d’étude particulièrement propice car des augmentations du salaire minimum sont régulièrement observées dans les différents Etats, offrant ainsi la possibilité d’une comparaison entre les Etats où l’augmentation a eu lieu et les autres. Mais bien sûr ce débat ne se limite pas aux Etats-Unis, comme le montre ce rapport du CAE de 2008 pour la France ou cette brève revue de littérature sur le site du ministère du travail de la province canadienne de l’Ontario.

 

Bibliographie

Myth and Measurement: the New Economics of the Minimum Wage, Card & Krueger, 1995 (nouvelle édition en 2015)

Minimum Wage, Neumark & Wascher, 2008

Economie des quartiers prioritaires

Cette séance porte sur l’économie des quartiers prioritaires, titre d’un numéro spécial de la Revue Economique paru en 2016. Deux articles issus de ce numéro seront présentés : “Résider en zus influe-t-il sur la mobilité quotidienne des actifs ?” (Bouzouina, Havet et Pochet) et “Effets de quartier, effet de département : discrimination liée au lieu de résidence et accès à l’emploi” (Petit, Bunel, Ene et L’Horty).

A travers ces deux articles, on s’interrogera sur les principes et l’histoire de ce qu’on a appelé la “politique de la ville”, dans des domaines aussi divers que l’éducation, la mobilité, le logement, l’accès à l’emploi, etc. Le bilan de ces politiques est controversé et il est l’occasion de riches discussions interdisciplinaires comme le montre ce dossier de La Vie des Idées.

Ce thème nous permet d’aborder des problématiques récurrentes en économie :

  • La mesure de la discrimination. Il s’agit pour les économistes d’identifier ce qui relève précisément de la discrimination dans les inégalités observées entre différentes populations. (Voir cet article de 2002 pour une synthèse des théories économiques de la discrimination)
  • Les problématiques spatiales. Définir des espaces géographiques pertinents et trouver des bases de données qui leur correspondent posent des problèmes spécifiques.
  • L’évaluation des politiques publiques. Afin d’évaluer les effets propres d’une politique publique, les économistes doivent construire des contrefactuels de qualité.

Nous verrons que les méthodes utilisées dans les deux articles étudiés répondent de manière efficace à ces problématiques.

Séance du 9 mars 2015 : l’approche économique du don

L’article de cette séance est un article de J. Van de Ven (2000) qui présente l’approche économique du don. Longtemps réservée aux sociologues ou aux anthropologues, l’analyse du don et de l’échange de présents fait désormais l’objet d’un certain nombre de contributions sous l’angle économique. L’objectif de cette séance sera avant tout de mettre en évidence les spécificités de l’approche économique du don par rapport à celle d’autres disciplines. La question particulière posée par la science économique est : pourquoi les agents font-ils des présents et des dons alors que le destinataire connaît mieux ses propres préférences et serait donc plus satisfait en recevant de l’argent et en utilisant cet argent lui-même ?

Sans surprise, le don fait surtout l’objet d’approches en économie comportementale (“behavioral economics”), qui visent à expliquer les motivations individuelles du don, alors même que celui-ci subsiste encore dans des sociétés de marché, et n’est donc pas propre aux systèmes économiques primitifs.

Les hypothèses de l’économie comportementale peuvent être testées en laboratoire, dans le cadre de ce que l’on appelle l’économie expérimentale. Les comportements individuels y sont testés lors de jeux programmés sur ordinateur qui permettent de voir comment les agents se comportent face à certaines situations et donc d’identifier des biais systématiques par rapport à un comportement purement rationnel.

En outre, la théorie des jeux, en ce qu’elle permet de modéliser les décisions d’un individu en fonction de celles des autres, est un outil théorique et mathématique très utile pour modéliser les interactions sociales.

La théorie du signal a également été appliquée à cette question : l’idée est que, dans un contexte d’asymétrie d’information, l’offre de cadeaux transmet un signal sur la nature de la relation entre l’offreur et le receveur.

Pensez-vous que l’approche économique du don apporte des éléments de réponse substantiels sur les motivations du don et de l’échange ou devrait-elle laisser cela à la sociologie, l’anthropologie et l’histoire ? En particulier, est-ce que l’usage de modèles formalisés du don vous paraît pertinent ? Quels sont les apports de l’économie comportementale et expérimentale et quelles sont leurs limites ?

Bibliographie

Un article de Gary Becker sur la question des interactions sociales d’un point de vue économique (working paper ici)

Un article classique de Camerer (1988) qui présente une approche sociologique mais a inspiré les économistes du don

Un article qui vise à quantifier la perte sèche représentée par les cadeaux de Noël (l’idée que le cadeau reçu par le destinataire peut lui procurer moins d’utilité que s’il avait fait son choix lui-même avec le même montant d’argent)

Un article de blog de G. Mankiw sur l’apport de la théorie du signal pour comprendre l’échange de cadeaux

Une émission de France Culture sur l’économie comportementale

Un point de vue critique sur l’économie comportementale

Séance du 9 février 2015 : comment a évolué la politique monétaire aux Etats-Unis et quel en a été l’impact sur la stabilité de l’économie ?

L’article de cette séance est un article de Clarida, Gali et Gertler (1999) central en macroéconomie monétaire.

Les auteurs évaluent les évolutions dans la conduite de la politique monétaire aux Etats-Unis à la suite de l’arrivée de Volcker à la tête de la FED, en 1979, et l’impact que cela a eu sur la stabilité macroéconomique du pays.

Premièrement, ils estiment économétriquement les paramètres d’une règle de politique monétaire dans la période pré et post-Volcker. Cela leur permet de mettre en évidence le poids plus important donné aux variations de l’inflation anticipée dans la fonction de réaction de la FED dans la seconde période.

Les auteurs présentent un point de vue très (excessivement ?) positif sur la conduite de la politique monétaire aux Etats-Unis dans les années Volcker puis Greenspan. En effet, dans un deuxième temps, ils introduisent les paramètres estimés dans un modèle théorique qui leur permet de montrer l’impact stabilisant qu’a eu cette évolution dans la politique monétaire, limitant notamment les mécanismes auto-réalisateurs (hausse de l’inflation anticipée ->  déclin dans le taux d’intérêt réel si la banque centrale n’augmente pas suffisamment le taux d’intérêt nominal -> hausse de la demande agrégée -> hausse effective de l’inflation).

L’article s’inscrit dans le cadre théorique nouveau keynésien, qui domine aujourd’hui la macroéconomie monétaire, et qui repose sur un certain nombre d’hypothèses fondamentales (concurrence monopolistique qui permet de micro-fonder les rigidités nominales notamment, prédominance du taux d’intérêt comme instrument de politique monétaire etc…), qui aboutissent à un modèle canonique micro-fondé qui se caractérise sous forme réduite par :

1) une courbe de Phillips micro-fondée : une équation caractérisant la dynamique des prix en fonction de l’output gap

2) une courbe “IS” qui définit l’output gap comme une fonction du taux d’intérêt réel et des anticipations de croissance

puis une règle de politique monétaire :

3) une fonction de réaction du taux d’intérêt cible à l’inflation anticipée et à l’output gap

4) une équation caractérisant la dynamique du taux d’intérêt en fonction du taux cible et de ses valeurs passées

Dans un autre papier, les mêmes auteurs décrivent les évolutions de la recherche sur la conduite de la politique monétaire dans les années 1980 et 1990, dans un contexte scientifique où la mise en avant de l’existence de rigidités de court terme et l’amélioration du cadre théorique sous-jacent ont permis de mettre en évidence le rôle de la politique monétaire à court terme.

La présentation du papier peut être élargie aux éléments de discussion suivants : quel a été l’impact de l’imposition du cadre nouveau keynésien comme le paradigme dominant en macroéconomie monétaire ? Quels en sont les développements récents et les limites ? Quelle est l’actualité du débat sur les règles de politique monétaire ?

Deux points se dégagent plus particulièrement à la suite de la crise financière de 2007-2008 puis de la récession mondiale qui a suivi.

Premièrement, reste t-il une marge de manoeuvre pour la politique monétaire dans une situation qu’on appelle “the zero lower bound”, c’est-à-dire quand le taux d’intérêt directeur s’approche de sa valeur plancher de zéro (ce qui peut être illustré par la mise en oeuvre de politiques monétaires non conventionnelles) ?

Deuxièmement, la politique monétaire doit-elle se contenter d’un objectif de stabilité des prix (et dans une moindre mesure de réduction de l’output gap) ou doit-elle aussi viser un objectif de stabilité financière (politique macroprudentielle et surveillance de l’évolution du prix des actifs notamment) ? Deux approches concurrentes coexistent sur cette question : l’approche “cleaning afterwards” : l’idée que la politique monétaire doit se contenter de viser à réduire l’impact de l’éclatement d’une bulle sur le prix des actifs financiers une fois qu’il s’est produit, et l’approche “leaning against the wind” : l’idée que la politique monétaire doit intégrer un objectif de stabilité financière ex-ante, en visant à empêcher la formation de bulles.

Pour compléter :

des notes de cours sur l’article de Clarida, Gali et Gertler (1999) proposant une synthèse des développements des années 1980 et 1990 de la recherche en matière de politique monétaire

Pour actualiser la question, un texte de Clarida (2010) qui décrit les développements des années 2000

Une présentation pédagogique du “nouveau consensus macro-monétaire”

Un article qui met en perspective les louanges puis les critiques qui ont été faites à la conduite de la politique monétaire sous la présidence d’A. Greenspan

Un article sur le débat “cleaning afterwards”/”leaning against the wind”

Des éléments de synthèse sur la question de la conduite de la politique monétaire “at the zero lower bound”